Interview fictive de Béatrice de Portugal

De passage à Chillon, dans un espace-temps fabuleux, Béatrice de Portugal, duchesse de Savoie, à qui appartenait le château nous a accordé une interview exclusive… Son Altesse livre sa vision princière du rôle d’une aristocrate de la fin du Moyen Âge et quelques anecdotes croustillantes sur son mariage…

Propos recueillis par Lise Leyvraz Dorier

Biographie

Béatrice de Portugal © Alamy

Votre Altesse, en tant qu’infante du roi Manuel Ier de Portugal et de la reine Marie d’Aragon et de Castille, pourriez-vous nous faire rêver sur votre vie de princesse et d’épouse, quelques jours après la St-Valentin ? Comment s’est déroulé le mariage avec Charles II de Savoie ?

Sur le marché matrimonial, vous savez, on cherche toujours la meilleure alliance stratégique et il vaut mieux avoir un bon pédigrée. C’est ce que tout bon parent souhaite à ses enfants, même à ses fils et filles puînés. Après toutes les tractations habituelles, qui ont duré 5 ans, mon père et roi m’a mariée une première fois par procuration et ensuite, je suis partie du Portugal à 17 ans, escortée par une flotte des plus grandioses jusqu’à Nice. Le voyage aura duré 49 jours. Les festivités du mariage se sont déroulées sur une semaine. Le cortège avant la cérémonie religieuse fut éblouissant et a fait place à des banquets somptueux.

Et votre première rencontre, était-ce un « match » ?

Ah oui, comme vous dites, on a « matché » pour beaucoup de raisons et on est devenu une équipe. Non, il n’y a pas eu de tournois de preux chevaliers pour gagner le cœur de la princesse, comme dans certains livres… mais plutôt des joutes financières. Dans une première phase, on prévoyait une dot à hauteur de 300’000 ducats et ensuite, on a gagné 50% du côté portugais. Finalement, on a amené mon magnifique trousseau composé de robes, de parures de bijoux ou encore d’une horloge pour un montant de 150’000. Quelle aubaine pour le duc ! Je ne devrais pas vous le dire, mais il était passablement désargenté… et il a épousé une fille de roi de surcroît !

Bref, le duc est venu me chercher à bord de la caravelle, alors que les derniers détails administratifs n’étaient pas réglés. Mon père m’avait d’ailleurs expressément demandé de ne pas descendre du navire avant que les dernières négociations ne soient closes. Imaginez ma surprise quand mon époux a débarqué, que je le voyais pour la première fois et qu’il m’a même donné un baiser… ! Ou quand l’étiquette franco-bourguignonne rencontre celle du monde ibérique…

Shocking ?

Sim, je suis quand même fille de roi et reine et petite-fille des Rois Catholiques !

Mais comme mon excellente éducation a pris le pas sur cet affront, j’ai dit à mon époux que je ferai comme mon seigneur l’ordonnerait.

Et je suis descendue du navire la tête haute.

Y a-t-il eu un autre clash entre vous ?

Quel langage, de vos jours… Oui, je vous avoue qu’il y a eu une mécompréhension à mon arrivée en Savoie. Après le mariage, Charles a voulu renvoyer toute ma suite portugaise et même mes dames de compagnie. Inês, ma nourrice qui est devenue ma femme de chambre et qui m’a toujours suivie en a défailli. Heureusement, j’ai réussi à mettre l’archevêque de mon côté, mais il a fallu aller jusqu’à pleurer pour que Monsieur le duc renonce en partie à ce dessein. Je lui ai suggéré aussi qu’il pourrait placer ses propres nobles dans la Maison de la reine… Les questions financières sont toujours une source de tension au cœur d’un couple. Ma suite était composée de 50 personnes et celle du duc de 180… Tsss ! Mais sachez que dans mon Hôtel, les femmes étaient toujours mieux payées que les hommes !

Quel rôle avez-vous joué à la Cour de Savoie ?

J’étais la personne qui devait enfanter, en priorité des héritiers mâles. Je devais être tout le temps grosse pour assurer la lignée ducale. J’ai donné naissance à 10 enfants, mais le Seigneur les a rappelés à lui, sauf un fils, Emmanuel-Philibert, qui a par miracle atteint l’âge adulte. J’ai également joué un rôle politique et diplomatique, en intercédant auprès de mon beau-frère l’Empereur Charles Quint qui avait marié ma sœur, Isabel. Il fallait protéger le duché de Savoie. J’ai aussi écrit à mon frère Jean III pour obtenir une aide financière. Une éducation humaniste reçue grâce à ma mère, mes lectures, comme le Livre des trois vertus à l’enseignement des dames de Christine de Pizan, et mes connaissances en latin m’ont servi dans plusieurs situations avec les hommes d’Église et les autres. J’ai appris qu’il y avait au moins deux points de vue et qu’il fallait conjuguer au mieux. C’est comme quand on a fait mon portrait… mon époux et l’artisan me rappelaient de ne pas sourire autant, la bouche ouverte, au risque de passer pour une femme vulgaire… C’est pourquoi j’ai quand même souri, en serrant les dents.

Les 9 étapes du mariage de Charles II de Savoie et de Béatrice de Portugal :

  • Une proposition de mariage,
  • Des négociations sur la dot,
  • Un contrat de mariage signé,
  • Un mariage par procuration,
  • Un voyage de 49 jours pour rejoindre le mari,
  • Une ratification du contrat de mariage avec conclusion des négociations,
  • Un mariage religieux,
  • Des festivités,
  • Et la consommation du mariage

Interview basée principalement sur la publication scientifique : Vies de princesses ? Les femmes de la Maison de Savoie (XIIIe-XVIe siècle).

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