En 1842, le célèbre écrivain français Victor Hugo publie un recueil de ses carnets de voyage intitulé « Le Rhin », dans lequel il décrit un dessin qu’il a observé dans la prison du château de Chillon au cours de sa visite en 1839. Il l’attribue à Michel Cotié, compagnon du prisonnier politique François Bonivard au début du XVIe siècle : « Rien ne reste de lui [Cotié] que quelques dessins charbonnés sur le mur. Ce sont des figures demi-nature qui ne manquent pas d’un certain style ; un Christ en croix presque effacé, une Sainte à genoux avec sa légende autour de sa tête en caractères gothiques, un Saint Christophe […] et un Saint Joseph. »
Datée du XVe siècle, cette Crucifixion se trouve sur la paroi sud de la prison, dans un petit espace enclavé surnommé « croton » ; ce dernier faisait office de chapelle pour les prisonniers au Moyen Âge. Il est attesté dès 1386 dans les sources manuscrites.
Au centre, le Christ en croix est entouré de la Vierge et de saint Jean. À droite de Marie, on trouve également sainte Catherine, tandis que Jean est flanqué à sa gauche de saint Christophe portant l’enfant Jésus et de saint Antoine l’ermite. Des attributs et des noms inscrits dans des phylactères permettent de tous les identifier.
En 1899, l’archéologue Albert Naef et son équipe examinent de près les différentes figures représentées autour du Christ en Croix. Ils en concluent que les dessins ont été réalisés par différentes mains – des prisonniers – à diverses époques. Toutefois, leur qualité et leur homogénéité réfutent cette hypothèse : il est inconcevable que des captifs aient pu produire ces dessins dans l’obscurité. D’autre part, les historiens de l’art ne décèlent ni plusieurs mains, ni plusieurs époques. La présence d’un écu de Savoie, même s’il n’est plus guère lisible, mène à penser que ce dessin serait plutôt le résultat d’une commande de la Maison de Savoie destinée aux condamnés à mort.
En effet, la présence des saints s’explique par leurs pouvoirs consolateurs : sainte Catherine est la patronne des vierges et des mourants, saint Christophe, protecteur de la mort sans confession, et saint Antoine protège du feu de l’enfer.